Paroles de pilotes – L’éjection
À la suite du crash d’un Tiger F-5 des Forces aériennes suisses mercredi 26 mai 2021, le journal alémanique Blick a voulu cerner les facteurs et les éléments qui poussent un pilote à utiliser son siège éjectable. C’est le colonel EMG Pierre de Goumoëns, chef de l’Autorité de l’aviation militaire (MAA), par ailleurs pilote de F/A-18 Hornet, qui s’est aimablement plié au jeu des questions réponses du tabloïd zurichois, en Schwiizerdüütsch. Mal lui en a pris !
Abandonner son avion ?
Effectuer une mission aux commandes de mon avion est la plus belle des sensations. En aucun cas je ne l’abandonnerais s’il y a possibilité de le ramener. […] Nous sommes tant attachés à nos avions, qu’un pilote fera toujours tout pour ramener son avion à la maison.
– col EMG Pierre de Goumoëns
L’éjection ?
C’est l’ultime décision pour sauver notre vie, quand nous n’avons plus le choix ! […] Pendant une à deux secondes, l’accélération est de 13 g, on y survit de justesse. […] On ne peut pas vraiment entraîner l’éjection en elle-même, mais les pilotes connaissent par cœur la procédure qui précède et suit immédiatement l’éjection.
– col EMG Pierre de Goumoëns
Mal lui en a pris de ne pas le faire dans sa langue maternelle, le français, parce que son »Beschleunigung ist kaum zu überleben« [traduit ci-dessus par »On survit de justesse à l’éjection« ] et son »Wir sind so verliebt in unsere Flieger« [que nous traduisons »Nous sommes tant attachés à nos avions« ] ont généré l’habituel fatras d’inepties déconnectées du sujet et de propos désobligeants qui prolonge les articles des sites d’information, souvent sous pseudos. Deux exemples significatifs de la cinquantaine de commentaires qui ont fleuri sous l’article publié par le Blick, ainsi que sous le partage dudit article sur Facebook :
Qu’est-ce que c’est que ce pilote ??? Les sièges éjectables de dernière génération sont absolument conçus pour que le pilote subisse un minimum de blessures. Les g encaissés peuvent aussi être entraînés en simulateur. Ce pilote devrait rendre sa licence.
– Le commentaire du style « Les sièges éjectables je connais, je travaille chez Martin Baker »
Bien sûr. Est-ce que ça a vraiment à voir avec l’amour de l’avion ? C’est simplement ton travail et ta mission. Après tout, c’est l’argent des contribuables. Je ne pense pas que cette déclaration améliore l’image des pilotes militaires. On croirait entendre un aspirant « Maverick » [par allusion au callsign du Captain Pete Mitchell dans « Top Gun »] et super-héros. J’apprécierais un peu de modestie.
– Le commentaire du style « Contacte-moi et je t’apprendrai à communiquer comme un vrai pilote militaire suisse »
Relevons toutefois un commentaire éclairé qui a tenté de remettre en contexte les propos du colonel de Goumoëns :
13 g correspondent à une accélération de 0 à 460 km/h en une seconde ! Un corps humain, attaché à un siège, ne peut résister à une telle accélération que pendant quelques secondes. À titre de comparaison, la limite de g d’un F-5E est de l’ordre de 7 g. La langue maternelle de Pierre de G. est le français. Mais ses propos sont assez clairs : 13 g, suivant la durée qu’ils s’exercent, c’est mettre sa vie en danger ou y « survivre de justesse ».
– Le commentaire du style « Éh, la communauté, vous avez capté que la langue maternelle de Pierre de G. est le français !? »
Le premier exemple ne mérite pas qu’on s’y arrête. Le second, par contre, nous interpelle. Est-ce forfanterie de la part d’un·e pilote militaire, que de déclarer aimer l’avion qu’il ou elle vole ? Devrait-il ou elle s’excuser à chaque fois publiquement d’éprouver de l’attachement pour l’avion dont il ou elle tient les commandes, son instrument de travail, afin de paraître modeste ? ou digne de la confiance des contribuables de se voir confier un outil de travail qui vaut plusieurs dizaines de millions de francs publics, quand il n’en va pas d’une centaine ? Est-ce fanfaronnade de sa part que d’affirmer qu’encaisser 13 g c’est presque mourir un peu pour sauver sa vie ? voire des vies, s’il ou elle arrive encore, avant d’actionner son siège éjectable, à s’assurer que son appareil en perdition n’ira pas se crasher sur une zone habitée ?
Restons sérieux ! Qu’ils ou elles parlent de leur travail, de leurs missions et de leurs montures avec leur cœur ou sous la dictée d’un·e spécialiste de la communication, nos pilotes militaires restent des grand·e·s professionnel·lle·s aux yeux de la population suisse. Quant bien même des biais d’ancrage soigneusement créés et entretenus depuis des années par les opposants à tout achat d’avions de combat ont la peau dure dans les médias ainsi que dans une frange de la classe politique et de la population – nous avons d’ailleurs déjà abordé le sujet ici-même : Air 2030 – Les avions de combat, des “joujoux hyper technologiques pour aller faire les foufous dans le ciel” ?!
Mais si l’on redoute encore pour « l’image des pilotes militaires [suisses] » quand ils ou elles s’expriment avec leur cœur devant un micro, alors il convient d’écouter le colonel David de l’Armée de l’air et de l’espace française, parler de « ses » avions au micro du « Collimateur » , le podcast de l’IRSEM, l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire pour retrouver de la sérénité. Il y est question de »tendresse particulière pour le Mirage« et de »tristesse de quitter un vieux guerrier« . Ô ciel, il ose même déclarer qu' »un premier avion, pour nous pilotes de chasse, c’est comme un premier amour« … Cela se passe entre 2:21 et 3:13.