Air2030 – Pourquoi même la Suisse, pays neutre, a impérativement besoin de partenaires militaires
Dans la série « Ce que nous ne lisons pas dans la presse romande » , le commentaire de Stefan Schmid, rédacteur en chef du St.Galler Tagblatt, paru dans la bz-Zeitung du 24 août 2020.
Le pays a besoin de nouveaux avions de combat pour pouvoir se défendre de manière aussi autonome que possible. C’est le message mobilisateur du DDPS. Il dissimule le fait qu’en tant que petit État, en cas de péril, il ne peut agir militairement que dans le cadre d’une coopération.
En ce début d’année 2020, l’affaire Crypto nous a montré que la Suisse neutre est fermement ancrée à l’Ouest. Elle a révélé l’appartenance de notre pays à une alliance occidentale des services secrets, dominée en fin de compte par les États-Unis.
Il en va de même pour notre armée. Elle est technologiquement et stratégiquement largement dépendante de l’OTAN. Ce n’est pas une tare. Un petit pays n’est pas en mesure de produire lui-même des systèmes militaires de haute technologie.
Il est donc incompréhensible que le Conseil fédéral tente désespérément de conserver l’image d’une Suisse indépendante en matière de politique de sécurité.
On peut encore comprendre qu’Ueli Maurer, ministre UDC de la défense, ait prétendu, pour des raisons idéologiques, que la Suisse pouvait se défendre de manière autonome. Mais le fait que Viola Amherd, membre du PDC, présente maintenant la chose de façon similaire est irritant.
La Suisse n’a pas besoin de nouveaux avions de combat pour se défendre. Elle en a besoin pour assurer la sécurité de l’Europe en solidarité avec ses voisins. Une tâche conjointe classique. Trop de responsabilités pèsent sur les épaules des États-Unis ; l’Europe doit en assumer davantage. Et la Suisse fait partie de cette Europe.
La neutralité n’est pas un obstacle. Elle signifie que nous ne voulons pas déclencher de guerres et que nous ne voulons pas y prendre part, sauf si nous sommes nous-mêmes agressés. Au-delà, elle n’a plus de sens.
Article orignal en allemand : Stefan Schmid
Traduction en français : François Monney
Commentaire
Dans son commentaire, Stefan Schmid se dit irrité par la cheffe du DDPS, madame Viola Amherd (PDC) : elle parlerait de politique de sécurité comme le faisait monsieur Ueli Maurer (UDC) alors en charge de la Défense. Le fait-elle vraiment ? De notre point de vue, non ; il se pourrait que quelques déclarations de la cheffe du DDPS aient échappé à Stefan Schmid.
Lorsque madame Amherd déclare dans une interview accordée à ses confrères Boris Busslinger (Le Temps) et Philippe Boeglin (La Liberté), publiée dans Le Temps, du 15 août 2020, qu’en tant que pays neutre au centre de l’Europe, nous avons la responsabilité de protéger notre espace aérien par nous-mêmes et que ne plus vouloir le faire ne serait pas défendable, du point de vue […] de la solidarité, implicitement, elle ne dit pas autre chose que Stefan Schmid quand il écrit que la Suisse a besoin de nouveaux avions de combat pour assurer la sécurité de l’Europe en solidarité avec ses voisins.
Il en va de même de la déclaration suivante de madame Amherd – dans la même interview : la Suisse ne peut pas être un trou noir au centre l’Europe. De quoi parle-t-elle ? De défense autonome, voire autarcique de la Suisse ? Nullement. Elle parle là aussi d’assurer la sécurité de l’Europe en solidarité avec ses voisins [Stefan Schmid], car il s’agit de ne pas laisser la Suisse devenir un vide ou un marais stratégique, tant pour nos voisins que pour l’OTAN ; tout comme elle parle implicitement de donner la garantie à nos voisins et à l’OTAN que nous restons à même de garder sous contrôle, depuis les airs, l’important tronçon suisse du « corridor des Alpes » – celui qui relie l’Autriche à la France, et qui est imperméable aux ondes des radars terrestres, offrant ainsi à quelque objet volant que ce soit la possibilité de traverser discrètement le dispositif de l’OTAN de l’est vers l’ouest et/ou de le tourner vers le nord ou le sud .
Contrairement à ce qu’en pense Stefan Schmid, madame la conseillère fédéral Viola Amherd, cheffe du DDPS, parle de contribution de la Suisse à un espace sécuritaire commun, celui que constitue le continent européen dans lequel notre pays, neutre, se trouve enclavé aux plans géographique, géopolitique et géostratégique. Certes, elle le fait plus ou moins directement ou indirectement, plus ou moins implicitement ou explicitement. Mais, comme certains termes – collaboration ou coopération internationale, partenariat militaire, engagement à l’étranger, Europe ou OTAN – jouent encore des rôles de répulsifs pour tout un secteur de notre échiquier politique et interdisent plus encore tout débat de fond raisonné sur la question de notre neutralité au XXIe siècle, on peut comprendre qu’au vu de l’enjeu que représente le renouvellement des moyens de nos Forces aériennes pour la politique de sécurité de notre pays, madame Amherd privilégie le passage en finesse plutôt qu’en force.